La paternité de l’œuvre et la qualité d’auteur de l’assistant du sculpteur

Le 13 mai 2022, le Tribunal judiciaire de Paris entendait le dossier du sculpteur Daniel Druet contre l’artiste Maurizio Cattelan au titre de la paternité de l’œuvre et de la qualité d’auteur de l’assistant du sculpteur.
L’art contemporain était ainsi à l’honneur devant le Tribunal.

La question de droit était :

Dans quelle mesure l’assistant peut-il être considéré comme le co-auteur de l’œuvre ?

Les demandes de Daniel DRUET

Daniel Druet, sculpteur français a longtemps fabriqué des œuvres pour le compte du célèbre artiste d’origine italienne Maurizio Cattelan.

Cependant malgré ces nombreuses créations, le nom de l’artisan de 80 ans, longtemps sculpteur pour le musée Grévin, n’a jamais été cité, ni parmi les crédits des œuvres de Maurizio Cattelan, ni dans les catalogues.
Ce sculpteur français a créé une sculpture intitulée “le coucou”, représentant Maurizio Cattelan, symbole de son combat seul contre “tous les artistes qui se servent du travail des autres pour se faire valoir”.

Il a assigné devant le Tribunal judiciaire de Paris l’artiste italien, pour qui il a fabriqué neuf effigies composant ses installations.

La question posée est celle d’identifier le réel auteur des œuvres, selon les instructions communiquées par l’un et la réalisation de l’autre artiste.

Il réclame 4,5 millions d’euros de dommages et intérêts à la société de l’artiste, à son galeriste Emmanuel Perrotin mais aussi à la Monnaie de Paris, musée qui a accueilli en 2016 l’exposition intitulée « Not afraid of love ».

La Monnaie de Paris a demandé la garantie de l’artiste conformément au contrat conclu.

Maurizio Cattelan n’a pas été mis dans la cause à titre personnel devant le Tribunal. https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2022/05/01/le-sculpteur-de-maurizio-cattelan-se-rebiffe-contre-l-artiste-star_6124313_4500055.html

Les précédents judiciaires ; l’affaire RENOIR / GUINO

Ce litige fait écho à une affaire antérieure semblable entre le célèbre peintre Renoir et Richard Guino, dans laquelle une pluralité d’auteurs avaient participé à la réalisation de l’œuvre. Richard Guino ayant participé au processus créatif, la charge d’exécuter les œuvres sous la direction d’un autre artiste, Auguste Renoir.
La première chambre civile de la Cour de Cassation, dans un arrêt rendu le 13 novembre 1973 (n° de pourvoi 71-14.469) confirme l’un des moyens soulevé par les juges de fond de la Cour d’appel dans son arrêt du 9 juillet 1971 :

“ MAIS ATTENDU QUE LA COUR D'APPEL A ENONCE, TANT PAR SES MOTIFS PROPRES QUE PAR CEUX DES PREMIERS JUGES QU'ELLE A ADOPTES, QUE GUINO N'AVAIT PAS ETE UN SIMPLE MODELEUR QUI N'AURAIT PAS FAIT UN GESTE SANS UNE INDICATION DE B…, QU'IL TRAVAILLAIT SEUL PENDANT DES HEURES PARFOIS MEME LOIN DE B…, QU'AINSI QUE L'AVAIT INDIQUE L'EXPERT, LA COMPARAISON DES TABLEAUX DE B… ET DES SCULPTURES LITIGIEUSES REVELAIT QUE CERTAINES ATTITUDES, CERTAINES EXPRESSIONS AVAIENT ETE ACCEPTEES ET NON DICTEES PAR B… ET MARQUAIENT "L'EMPREINTE DU TALENT CREATEUR PERSONNEL DE GUINO " ET ENFIN QUE LES SCULPTURES "AURAIENT ETE AUTRES SI ELLES AVAIENT ETE L'Y… DU SEUL B…" ;
ATTENDU QUE DE CES ENONCIATIONS SOUVERAINES QUI NE COMPORTENT AUCUNE APPRECIATION DU MERITE DES Z… QUI ONT ETE COMPAREES ET D'OU IL RESULTE QUE GUINO, CONSERVANT SA LIBERTE DE CREATION, A EXECUTE CHACUNE DES SCULPTURES LITIGIEUSES EN COOPERATION AVEC B… ET A ACQUIS SUR CELLES-CI UN DROIT DISTINCT, LES JUGES DU SECOND DEGRE ONT, A BON DROIT, DEDUIT QUE GUINO AVAIT LA QUALITE DE COAUTEUR, QUI LUI CONFERAIT NECESSAIREMENT LES ATTRIBUTS DU DROIT MORAL DONT LA POSSESSION LUI EST DENIEE PAR LE POURVOI, ET QUE LESDITES SCULPTURES ETAIENT DES Z… DE COLLABORATION ET NON DES Z… COLLECTIVES “.

Dans cette affaire, les tribunaux ont reconnu la qualité de coauteur de l’artiste en raison notamment de la coopération établie entre les deux artistes. Plusieurs critères pertinents ont pu être fixés pour déterminer la qualité de coauteur.

La problématique des artistes et des ateliers

Cette situation récurrente se retrouve chez nombre d’artistes comme Damien Hirst, Jeff Koons, Takashi Murakami qui délèguent également tout ou partie de leurs créations à leur atelier.

Néanmoins, il est à préciser que ce cas ne se retrouve pas que chez les artistes contemporains. En effet, on se souviendra bien sûr des œuvres de Léonard de Vinci qui pour certaines sont considérées comme des œuvres d’atelier, réalisées par ses assistants, non originales de la main de l’artiste.

Dans cette affaire, Daniel Druet se considère même unique auteur des œuvres.

Le droit appréhende la création par la main de l’artiste …

Le jugement rendu le 8 juillet 2022 : aucune analyse au fond du dossier

Le Tribunal judiciaire de Paris a rendu, le 8 juillet 2022, un jugement qui était très attendu par le monde de l’art contemporain.

Pour autant ce jugement n’a pas statué sur le fond de l’affaire, ayant jugé Monsieur Daniel Druet irrecevable à a agir, pour ne pas avoir assigné personnellement l’artiste Maurizio Cattelan.

Le Tribunal relève en effet que :

« (….) faute d’avoir assigné en personne Maurizio Cattelan, auteur présumé, au préjudice duquel il revendique la titularité des droits sur les œuvres en cause, Daniel Druet doit être déclaré irrecevable en toutes ses demandes en contrefaçon de droits d’auteur ».

Contrairement à ce que la Presse a pu s’en faire l’écho, sans comprendre les subtilités juridiques de la procédure, le Tribunal ne s’est pas prononcé sur la contrefaçon.

Une affaire à suivre donc sur le fond si Daniel Druet décide de faire appel ou de régulariser sa procédure en mettant dans la cause l’artiste star, à titre personnel.

La crédibilité mondiale de l’art contemporain en cause

De très nombreux articles de presse n’ont pas compris la portée réelle de la décision rendue par le Tribunal. https://www.revueconflits.com/lart-devant-la-justice-laffaire-druet-cattelan/

Cette affaire est analysée dans une de nos formations.